Le game over annoncé de la politique sur Twitch

Morgane Geffroy - Canastra
8 min readMar 11, 2021

Avant de commencer :
Point de vue de citoyenne de la génération Y
Point de vue sentimental et avec du recul
Point de vue étrange pour une passionnée de politique et de numérique mais attachée à l’image de la politique nationale qu’elle voit dévier sur des sujets d’influenceurs…
Point de vu forcément contestable et débat ouvert en commentaires avec plaisir et respect
😉

Un pic de 100 000 viewers sur Twitch en live pour l’intervention de François Hollande dans l’émission de Samuel Etienne a fait l’effet d’une bombe médiatique déclenchant une vague de critiques positives comme négatives.

Pourtant, malgré la traduction première qui, ne s’arrêtant qu’aux chiffres, pourrait laisser penser que cette démarche est un réel succès, la réalité est bien différente.

Au-delà des chiffres, au-delà de la position de grande personnalité politique (presque) précurseur à intervenir sur Twitch, si les avis sont partagés, c’est parce que la démarche ne paraît ni principalement conduite par le plaisir ni par le fun.

Alors que la spontanéité et la détente sont les socles de la philosophie de la plateforme Twitch, l’arrivée de lives à dimension purement politique va à l’encontre des motivations de présence sur Twitch.

La réflexion ne s’attarde pas à dire que Twitch n’est qu’une plateforme destinée qu’aux gamers et aux streamers de gaming mais à mettre en avant des éléments pointés qui expliquent un game over déjà annoncé de la politique sur Twitch.

Car si après le succès apparent de l’intervention de François Hollande sur Twitch, 48H après, l’annonce de celle de Jean Castex pour le week-end suivant ressemblait déjà à un “too much”, la communication politique ne retiendra que le buzz du Président Hollande et risque par faiblesse et manque de recul, conseiller à bien d’autres personnalités de prendre le pas de la présence sur cette plateforme qui laisse certes une ouverture à toutes et à tous, à tout, mais certainement pas à la politique, surtout dans le calendrier actuel de 2021 et du contexte mondial.

Prenons donc dans l’ordre toutes les raisons que chaque conseiller en communication politique devrait au moins considérer à mon sens dans leur simple lecture.

Niveau 1 : le calendrier et le contexte de la génération ciblée sèment le doute

Un calendrier qui éveille les soupçons

Nous ne sommes pas nés de la dernière pluie : François Hollande, précédent Président de la République qui a soutenu Emmanuel Macron, Jean Castex, premier Ministre ; en une semaine, ce sont deux personnalités politiques qui auront ainsi “investi” Twitch sans aucune autre prise de parole laissée auprès de la même dimension communautaire pour au moins une opposition.

Certains diront que les autres personnalités politiques n’ont qu’à participer à d’autres émissions Twitch mais les faits sont tels qu’en moins de deux semaines, ce seront deux personnalités politiques qui seront passées dans un live Twitch mené par le même “streamer” et bénéficiant d’une communauté conséquente déjà difficile à challenger par d’autres. Cela créerait donc un jeu et un effet de déséquilibre.

Par ailleurs, ces deux invités représentent chacun une ligne politique différente mais portent :
- Soit la volonté de défendre les actions du Gouvernement et de prôner les succès, à un an des élections Présidentielles, la marge et la distinction entre la communication du Gouvernement en place et du soutien pour le futur candidat aux élections Présidentielles est faible et difficile.
Une ambiguïté de communication qui pose un réel problème.
- Soit, quoi qu’il en soit, un message politique, en tant que ex / personnalité publique et politique.

Niveau 2 : la dualité entre politique et Twitch est la dualité entre l’intérêt et la sincérité

La bulle éclatée d’une communauté

Il est indéniable que Twitch est une plateforme qui a su depuis plusieurs années accueillir des millions de personnes en quête d’une nouvelle expérience d’internet.
Le principe des streams et d’une communauté qui peut interagir en même temps a permis de créer des minis bulles communautaires dans la bulle Twitch.
Twitch c’est le lieu du chilling du soir et du week-end. On y écoute et regarde des streamers qui sont de véritables animateurs, on y rejoint des communautés qui créent des liens réels.
Les échanges sont ouverts, le rire est bien présent, on ne s’y prend pas toujours au sérieux, on débat, tout le monde a la parole puisque les streamers sont attachés à donner cette parole au tchat : beaucoup lisent les commentaires, sélectionnent peu. C’est libre et sans langue de bois !

La philosophie et les valeurs de Twitch mises à mal

Si l’arrivée d’émissions politiques sur Twitch provoque tant d’émoi, c’est principalement pour les raisons ci-dessus. Toute la philosophie de cette bulle est éclatée par la philosophie de communication politique.
C’est un peu comme si le paradigme politique venait étouffer le paradigme de Twitch.

La communauté se sent presque attaquée sur son “espace”. Celui sur lequel tous les principes contraires à ceux de la télévision étaient justement cassés, pour créer un “lieu” différent.

Aujourd’hui, malgré l’immense succès et qualité de l’émission de revue de presse de Samuel Etienne, avec le passage au niveau supérieur par l’accueil de personnalités politiques, ce sont les codes du journalisme grand public qui y sont aussi amenés. Ceux pour lesquels une partie de la communauté Twitch n’adhère pas.

C’est ce sentiment de venir grapiller du temps de parole et de diffusion de la communication gouvernementale dans un espace ayant été jusqu’ici épargné en France de toute utilisation politique, qui provoque ce mécontentement.

Niveau 3 : la “coolitude” ridicule sous fond d’hypocrisie

Quelle finalité dans la démarche ?

Être une personnalité politique hype pour la jeunesse pour sa présence sur Tik Tok et Twitch ou être la personnalité hype pour la jeunesse pour sa défense et protection et la mise en place d’actions politiques réelles ?

L’agacement est réel. Alors que les files d’étudiants ne cessent de se rallonger pour accéder à l’aide alimentaire, cette jeunesse voit débarquer Jean Castex, deuxième homme d’Etat de France, confortablement installé, à tenter de se donner une image cool et connectée auprès de ceux pour qui la vie n’est qu’une galère depuis près d’un an.

En voulant se connecter à la jeunesse, il s’en déconnecte totalement. La stratégie est à l’envers et les priorités sont inversées.
La démarche même de l’utilisation de Twitch par les personnalités politiques comme celles de Jean Castex démontre que l’image et la “hypitude” sont des éléments plus importants (ou qu’ils considérent être plus importants pour les jeunes) que leurs actions réelles pour cette même cible.

Ces actions réduisent la considération qu’ils ont de la jeunesse. Le sentiment provoqué mène à se dire que les politiques jugent que la jeunesse prêterait plus d’importance à celle ou celui qui saura utiliser leurs moyens de communication.
Mais ce n’est pas cela qu’elle attend des politiques. Elle n’attend pas de Jean Castex qu’il sache montrer des tips sur Tik Tok, nous dire sur Twitch qu’il a été un super pro sur les bornes d’arcade en son temps, qu’internet c’est génial. La jeunesse attend que ces personnalités s’engagent dans le concret et l’opérationnel !

Confondre gain de sympathie d’une génération VS gain de confiance

Après avoir écouté et lu beaucoup d’avis sur l’arrivée des politiques sur Twitch, une phrase revenant souvent m’a particulièrement choquée : “le capital sympathie”.

J’ai le sentiment qu’en 2021, la politique nationale a perdu tout son sens, ses valeurs, sa raison d’être.
La politique n’est pas faite pour être sympathique. Les hommes et femmes politiques ne sont pas là pour être sympathiques. Ce n’est pas ce que nous attendons et devons attendre d’eux.
Nous souhaitons des hommes et des femmes d’action.
La sympathie, Jean-Luc Mélenchon l’a, mais cela ne fait pas de lui un concurrent sérieux, une personnalité politique qui accédera au pouvoir.

Justement parce que la sympathie n’a rien à voir avec la confiance !

Cette volonté de stratégie de communication politique de vouloir créer un capital sympathie autour de certaines personnalités est une grave erreur de vision et qui appuie la perte de raison d’être de la politique en France.

Personne ne veut d’un ou d’une Président / Présidente sympathique.
Nous voulons avoir confiance en notre Président / Présidente.

Qui a déjà eu des amis super sympathiques mais auxquels ils ne feraient pas confiance pour certains sujets ou dans certaines circonstances ?
Tout le monde !

“Je n’ai pas téléchargé TéléCovid”. Quelle crédibilité sur Twitch ?

Devenir un meme ou devenir un exemple ?

Les gaffes sur les sujets du numériques par Jean Castex ont déjà fait le tour du web francophone.
Jean Castex est d’ailleurs rapidement devenu un meme pour cela.

Sa présence ce week-end sur Twitch est d’ailleurs d’autant plus décrédibilisée par ce manque de connaissances de tout cet environnement.
Cette évidence rend la démarche d’autant plus hypocrite pour la communauté qui se sent alors encore plus utilisée et potentiellement jugée assez crédule pour se faire manipuler...

Le sentiment de manipulation manquée

C’est ce sentiment de manipulation manquée qui crée des frustrations supplémentaires quant à la démarche de présence sur Twitch.

Si la présence de François Hollande était bien plus appréciée, c’est parce qu’à ce jour, il n’a aucune volonté d’à nouveau accéder au pouvoir.
L’expérience politique et l’introspection amenaient quelque chose de différent et soyons aussi lucides : c’était la première fois qu’un ancien Président de la République Française venait sur Twitch.
Les viewers curieux de cette première fois devaient être nombreux.
La récurrence de viewers sur ces rendez-vous risque de ne pas forcément suivre une courbe croissante.

2021 : personnalité politique ou influenceur ?

Tout cela nous amène à une questions plus générale, bien au-delà des émissions de Samuel Etienne et de Twitch : la couleur donnée à la communication politique depuis un an ressemble de plus en plus à celle des influenceurs des émissions de télé-réalité (ou télé-poubelle).

Tout les amène à penser que pour gagner le capital sympathie (première erreur) il faut être là où les jeunes sont (seconde erreur).

J’ai dans ma tête l’image de ce spam virtuel qui te suivrait peu importe où tu es, ou tu vas, pour continuer à t’encrer de ses paroles répétées. Une forme de propagande virtuelle où même dans la seule bulle que tu avais encore réussi à cacher, il est désormais, ne te laissant aucun répit ou d’évasion pour ne plus l’entendre ni le voir.

Certains diront donc : “Mais si tu ne veux pas voir le stream. Ne va pas sur le stream et c’est tout !”
Le sujet ne peut être réduit à cela.
Le sujet est la tendance lancée qui risque de transformer la plateforme à un an des prochaines élections présidentielles. Se pose aussi la question de la surveillance du temps de parole, de la dimension donnée à la parole : vecteur de propagande ? Echanges possibles ? Quid de la modération faite et de la sélection uniquement des commentaires qui ne piquent pas ? Est-ce vraiment promouvoir un stream dans les valeurs de Twitch : la parole donnée à tous, sans langue de bois, dans le rire ?

La politique est-elle faite pour cela ? A-t-elle sa place pour cela ? Est-ce ce que nous attendons d’elle ?

PS : Twitch, plateforme américaine (Amazon) que certains politiques vont adorer utiliser pour ensuite venir nous parler de souveraineté numérique et cracher sur les GAFAM ? Encore une fois, quelle crédibilité dans le discours ?

Niveau final : Game over

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